Barbares ou sauvages ?

Benoît Jeanjean, président de l’association, commente le thème du concours 2011:

S’interrogeant dans ses Essais sur les peuples du Nouveau Monde, Montaigne mettait en cause la notion même de barbarie que certains de ses contemporains appliquaient sans réflexion aux indigènes du nouveau continent : « Or je trouve, […] qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté ; sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage […] ». Mais cette remise en cause d’une étiquette a priori discriminatoire et dépréciative n’allait pas sans finesse et c’est par un paradoxe qu’il réhabilitait le sauvage au détriment du soi-disant civilisé : « Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler sauvages » (Essais, « Des cannibales », I, 31).

C’est dans cet esprit humaniste que s’inscrit le thème proposé cette année aux élèves de lycée et collèges qui prépareront le concours latin-grec du prochain Printemps de l’Antiquité. Les Grecs, comme les Romains, ont senti très tôt les différences, tant politiques que culturelles, qui les distinguaient des peuples voisins auxquels ils étaient confrontés. La dénomination de « Barbare » leur a servi à marquer ces différences en un raccourci réducteur. Mais derrière cette réduction tendancieuse qui rejette l’étranger dans une altérité irréductible, le barbare ne cesse d’être une source d’étonnement et de fascination pour les Grecs comme pour les Romains. Certes, le barbare est d’abord perçu comme l’ennemi à vaincre, le sauvage à domestiquer, mais une dialectique du retournement parcourt toute la littérature ancienne qui annonce déjà le mythe du bon sauvage. Hérodote ne signale-t-il pas que les dieux et les cultes grecs trouvent leur origine chez les Egyptiens ? Tacite ne laisse-t-il pas percer, dans La Germanie, son admiration pour des vertus qui, depuis longtemps, font défaut aux Romains ? Sénèque ne souligne-t-il pas l’humanité commune entre Romains et esclaves ? La notion de Barbare est donc plurielle, polyvalente, voire contradictoire. C’est l’ensemble de ses valeurs qu’il conviendra d’explorer, sans écarter ni la richesse ethnologique des différences, ni les conflits qui ont historiquement marqué les rapports entre Grecs, Romains et Barbares. Une telle démarche est, pour tous, élèves et professeurs, l’occasion de prendre du recul vis-à-vis des étiquettes discriminatoires derrière lesquelles toute culture dominante est tentée de stigmatiser les groupes qui lui échappent.